Sa
vie n’est pas un long fleuve tranquille. Malgré de bonnes dispositions
intellectuelles, le cocher ne s’est pas fait une place au soleil dans
l’enseignement. Mais plutôt à dos de charrette. Portrait.
Le bonhomme a l’air zen quand il parle. Ce n’est
qu’un faux-semblant. En réalité, Moussa Diouf est en rogne: « je suis charretier, et pourtant j’ai eu le
brevet en 1989, j’ai fait un stage d’animation économique de trois mois, et
j’ai au moins neuf attestions en langue nationale sérère ». Ce
Palmarès aurait pu paraître chimérique sans le bon français que ce jeune cocher
parle d’une voix éraillée où pointe ce soupçon de colère. La vie de ce natif de
Ndiaga ndiao Fissel semble être un conte bien triste. Une chute à cheval lui
vaut une claudication de la jambe droite : « Je devais avoir sept ou huit ans. C’était une course d’ânes entre gamins. Je suis mal tombé
et j’ai été mal soigné. Cela fait que je suis resté comme ça ». Une
mésaventure qui n’entame en rien l’attachement qu’il porte aux équidés. Il
préfère d’ailleurs gaver son cheval et mourir de faim : « Des 5 000 francs que je gagne
quotidiennement, 3 000 à 3 500 sont réinvestis en paille et en soins divers
pour le cheval. Puisque c’est mon seul moyen de survie… »
La route latéritique et poussiéreuse qui mène à
Garage Saly mérite bien son nom ; Talli
bou khonk (Piste rouge). L’ambiance est démente sur ce terminus pour
charrettes. Les clients pressés, ne semblent pas indisposés par l’odeur du crottin
et pis de cheval. Un petit marché en ébullition, juste à coté, vient ajouter au
désordre ambiant. Dans ce concert de hennissements et de klaxons, Moussa, grand
de taille malgré son handicap, se trouve dans son élément. Son bonnet poussiéreux lui couvre sur sa tête
mal coiffée. De grosses lunettes lui barrent une grande partie du visage. Une
fine couche de poussière se dépose sur sa peau ébène de sérère. Après de mauvaises récoltes, en 2001, il quitte son village
et vient gonfler les statistiques de l’exode rural. Mais, à Mbour, l’insertion
escomptée dans la fonction publique ne s’est jamais réalisée. En déphasage avec
le monde scolaire depuis 1995, le « diplômé
de l’ancien système d’éducation », se dirige naturellement vers ce
qu’il fait de mieux, la conduire un cheval : « je commence la journée à 7 heures, dit-il avec agacement, et, dès fois, il arrive que je ne fasse aucune
rotation jusqu’à 10 h. Les taxes municipales nous épuisent jusqu’à la moelle.
Rouler sur la chaussée nous est interdit, alors que nous payons quotidiennement
100 francs à Saly, et 250 à Mbour ».
Le charretier titulaire du brevet, parait avoir
moins que ses 37 piges. Il raccroche son téléphone portable en rabrouant vivement
son interlocuteur en sérère. Il s’excuse de son emportement dans un sourire
jaune : « On vient de m’appeler
du village pour me dire que le sac de
riz est fini. Je leur ai demandé de voir mes autres frères. Je leur ai envoyé
beaucoup d’argent il n’y a même pas une semaine», dit-il, retrouvant quelque
peu son flegme. Il veut rester monogame. Ce qui est une résolution de « bon sens », explique t-il, car il lui est déjà très
difficile d’entretenir une épouse et trois enfants dans sa conjoncture. De
toute façon il aime trop son épouse pour lui trouver une rivale. Il a eu à
passer par une cascade d’événements pas toujours heureux. Mais le disciple tidiane qu’il est les surmonte grâce
« à sa foi inébranlable en Dieu, et
à la pensée que tout ira bien Inchallah ». Un optimisme doublé d’une
magnanimité dont témoigne Pathé Ka, son ami : « A mon arrivée à Saly, ma charrette a été
confisqué par la mairie, pour défaut de paiement de la taxe ; Moussa a
payé 2 000 francs pour la récupérer alors qu’on venait à peine de se connaitre ».
L’homme qui « gagne plus en trois jours de Magal à Touba qu’en un mois à Saly » ne caresse malheureusement plus le rêve fou de retourner sur les bancs de
lycée : « Il y’ a 10 ou 20
ans, j’aurais envisagé cette possibilité mais, actuellement, que voulez vous
que j’aille faire à l école ? ». Le français qu’il parle, résultat
d’une bonne formation scolaire, fait envie aux autres charretiers. Il se permet même une vanne envers la nouvelle génération
d’écolier : « ils y vont juste
pour ne pas rester à la maison ».
Il avoue s’adonner à la lecture en
cachette pour ne pas susciter l’incompréhension et les railleries de ses
congénères. Un luxe qu’il se paie de plus en plus rarement puisque son boulot est
harassant. C’est d’ailleurs sur ces entrefaites que le coxeur (rabatteur) lui signifie que c’est son tour de prendre des
clients. Il tire sur les rênes du cheval qui avance dans un grand ébrouement. Le charretier titulaire d’un diplôme et sa
bête vont poursuivre cette journée de labeur entamée quelques heures plus tôt.
Destination : l’école de mambara.
Ousmane Laye DIOP